8 nov. 2010

Plateforme

Décidément, c'est le quatrième roman de Michel Houellebecq que je lis et mon intérêt pour cet auteur ne faiblit pas.

Le narrateur s'appelle toujours Michel mais les faits relatés ne sont pas autobiographiques. D'où l'impossibilité d'attribuer totalement à l'auteur les réflexions du narrateur. C'est un procédé très habile lorsqu'on découvre à quel point les propos du Michel du roman sont amoraux et vont à l'encontre de la bien-pensance et du politiquement correct. On pourrait même y trouver de la provocation et de l'outrage s'il n'y avait pas tant de pertinence.

De manière plus personnelle, j'aime ce personnage principal sans orgueil, maladroit, lucide, pessimiste et qui se définit lui-même comme médiocre. Dépourvu d'amour propre, il n'a pas peur d'être jugé.

Pour autant, je ne peux pas pleinement adhérer à tous les constats, souvent sévères, qui sont portés sur la société d'aujourd'hui. Parce que je ne suis toujours pas un observateur suffisamment éclairé. Je serais d'ailleurs très curieux de pouvoir discuter de ces constats avec d'autres.

En attendant, je retranscris ci-dessous quatre extraits.

Offrir son corps comme un objet agréable, donner gratuitement du plaisir: voilà ce que les Occidentaux ne savent plus faire. Ils ont complètement perdu le sens du don. Ils ont beau s'acharner, ils ne parviennent plus à ressentir le sexe comme naturel. Non seulement ils ont honte de leur propre corps, qui n'est pas à la hauteur des standards du porno, mais, pour les mêmes raisons, ils n'éprouvent plus aucune attirance pour le corps de l'autre. Il est impossible de faire l'amour sans un certain abandon, sans l'acceptation au moins temporaire d'un certain état de dépendance et de faiblesse. L'exaltation sentimentale et l'obsession sexuelle ont la même origine, toutes deux procèdent d'un oubli partiel de soi; ce n'est pas un domaine dans lequel on puisse se réaliser sans se perdre. Nous sommes devenus froids, rationnels, extrêmement conscients de notre existence individuelle et de nos droits; nous souhaitons avant tout éviter l'aliénation et la dépendance; en outre, nous sommes obsédés par la santé et par l'hygiène: ce ne sont vraiment pas les conditions idéales pour faire l'amour.

J'allumai une cigarette; il me toisa avec sévérité. "Le bonheur est chose délicate, prononça-t-il d'une voix sentencieuse; il est difficile de le trouver en nous, et impossible de le trouver ailleurs." [...] La phrase me paraissait discutable: en intervertissant "difficile" et "impossible", on se serait peut-être davantage rapproché de la réalité; mais je ne souhaitais pas poursuivre le dialogue [...].

[...] pour autant que j'aie eu l'occasion d'y réfléchir, la culture me paraissait une compensation nécessaire liée au malheur de nos vies. On aurait peut-être pu imaginer une culture d'un autre ordre, liée à la célébration et au lyrisme, qui se serait développée au milieu d'un état de bonheur; je n'en étais pas certain, et ça me paraissait une considératiion bien théorique, qui ne pouvait plus vraiment avoir d'importance pour moi.

On peut habiter le monde sans le comprendre, il suffit de pouvoir en obtenir de la nourriture, des caresses et de l'amour.

4 commentaires:

  1. Houellebecq est grand favori pour le Goucourt 2010... Plateforme est le seul de ses romans que j'aie lu, c'était il y a quelques années déjà.

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  2. @TM: Eh bien, ça y est, le favori a été consacré.
    Je ne sais pas si tu avais aimé Plateforme.
    Le premier roman de Houellebecq que j'ai lu, Les particules élémentaires, m'avait laissé une impression mitigée. En lisant ses autres romans quelques années après, j'ai été surpris de l'intérêt que j'y ai trouvé.
    Finalement, ce n'est pas si fréquent que j'aime les livres que je lis.

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  3. Moi je n'ai jamais lu Houellebecq, mais j'ai vu un autre blog qui en parlait sauf que cette autre blogueur n'a pas vraiment accroché sur le dernier. Tu cherchais quelqu'un pour discuter de ce que tu percevais...

    http://www.invarietateconcordia.net/article-vivre-sans-lecture-c-est-dangereux-il-faut-se-contenter-de-la-vie-a-peut-amener-a-prendre-des-risques-60589043.html

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  4. @Loup: Merci pour le lien car je suis en effet intrigué par ce que les gens pensent des romans de MH.

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