14 août 2011

La pression du bonheur

Je veux être heureux. C'est la réponse que je ferais à qui me demanderait quel est mon but dans la vie. C'est simple, vague, presque enfantin, mais il finalement existe bien d'autres manières de répondre à cette question.

Je veux être heureux, c'est avant tout un aveu d'ignorance: je suis incapable de définir clairement et en quelques mots ce qui ferait mon bonheur. Je m'accroche aux mots heureux et bonheur comme si je voulais me rendre sur une île paradisiaque qui ne figurerait sur aucune carte et dont le seul nom attesterait l'existence.

Dans Je veux être heureux, il y a aussi Je veux. Je pourrais ne rien vouloir, et même ne plus rien vouloir. Ça m'est arrivé, et ça m'arrivera encore. Pour l'heure, je veux, j'ai de la volonté, mon esprit est tendu vers quelque chose. Mais cette tension est si forte qu'elle pose problème. Il y a une limite au-delà laquelle vouloir être heureux devient trop obsédant: la volonté prend le pas sur la finalité – être heureux – alors que le bonheur suppose au contraire – enfin, je le crois – une certaine forme d'insouciance, de détachement, de confiance, de légèreté et de disponibilité d'esprit.

C'est ainsi qu'à trop vouloir être heureux je finis par gâcher les moments qui m'apportent un bien-être et des plaisirs simples.

L'autre jour, j'enfourche ma voiture pour une virée en solo sur le bord de mer, avec une vague idée de la direction, bien décidé à me laisser guider par la beauté des paysages. Niveau d'insouciance: élevé. Au cours de la journée, je m'arrête à différents endroits où je marche, nage quelques minutes et lis plusieurs pages d'un bon livre. Il y a du soleil et du vent et je suis bien. Mais à plusieurs moments, des doutes m'assaillent. Est-ce qu'être heureux c'est seulement ça? Est-ce que ça ne sera jamais que ça et rien de plus? Je me dis que la journée aurait été encore meilleure si j'avais été accompagné d'un amant et de bons amis. Le pire alors, c'est que je ne pense pas seulement – pour tenir ces rôles d'amant et amis – à des personnes bien réelles qui font partie de mon entourage, mais aussi à des personnes idéalisées, que je ne connais pas ou très peu, pourvues de qualités et de savoirs que j'envie.

Je me rends bien compte que ça ne peut pas fonctionner dans ces conditions. Entre ce que j'arrive à extraire du présent et ce que j'ambitionne d'obtenir dans un futur heureux, l'écart est tel qu'il me condamne à l'insatisfaction. Sans vouloir passer pour quelqu'un qui en demande toujours plus, n'y a-t-il pas juste moyen d'avoir mieux pour les choses essentielles?

Il m'arrive de penser que l'épitaphe suivante résumerait avec justesse – et cruauté – mon existence: Il n'a pas vécu sa vie, il l'a rêvée. Pourtant je n'ignore pas que le monde est comme il est, qu'il ne va pas changer pour correspondre à mes désirs. Il faut faire avec, balayer dans un coin et y installer son bonheur. Seulement voilà, il y a la théorie et la pratique, et que m'importe la théorie si je n'arrive pas à l'incorporer complètement et qu'elle me donne au contraire l'impression d'obéir à contre-cœur aux injonctions raisonnables d'une personne dont je n'ai pas la sagesse.
Je voudrais seulement vivre plus de moments où exister me paraisse plus enviable que de n'avoir jamais été, que ces moments soient pleins et légers, et qu'ils ne spéculent en rien sur l'avenir. Le bonheur, c'est une balance Roberval qui penche du côté Exister est une condition enviable.

Je crois qu'un autre problème dans Je veux être heureux, c'est qu'il ne laisse pas de place à l'échec. Il n'y a pas de ... sinon je ferai de mon mieux pour rendre ma vie supportable et peut-être même agréable. Non vraiment, la sortie de secours – s'il y en a une – est bien mal fléchée. Si j'extrapole à partir de ma propre expérience, je dirais que le bonheur est une chose très difficile à atteindre. Je m'étonne d'ailleurs que cette difficulté ne soit pas plus souvent relevée. Ne concerne-t-elle pas une bonne partie d'entre nous?

Ne pas être heureux, c'est compliqué à vivre, à assumer et à expliquer. Mais ce n'est pas non plus un drame, la plupart du temps. En société, c'est plutôt le bonheur, ou l'apparence du bonheur, qui est la norme. Et l'on décide souvent à notre place, d'après certains signes extérieurs, si nous sommes heureux ou pas; et si nous ne le sommes pas, si nous devrions l'être – car on a tout pour. La société a par ailleurs tendance à davantage valoriser ceux qui sont heureux et épanouis; ils sont pris pour exemple, exhibés comme modèles. En contraste, les autres sont, au mieux moins photogéniques, au pire un peu suspects. Je ne parle même pas de ceux qui sont atteints de dépression et qui sont souvent jugés responsables de ce qui leur arrive: manque de volonté, laisser-aller, incapacité à se prendre en main, etc.

Je crois aussi qu'il est délicat d'assumer de ne pas être heureux auprès de ses proches et de ses intimes. Cela génère, qu'on le veuille ou non, une culpabilité chez les autres. C'est bien compréhensible: lorsque l'on tient à quelqu'un, on se sent engagé par rapport à son bonheur, on souhaite y contribuer. Il est mal aisé de faire comprendre à qui vous veut du bien qu'il n'y a parfois rien à faire, à part rester à l'écoute, et que ce n'est peut-être pas si grave. Personnellement, afin d'éviter d'inquiéter et de recevoir des sollicitudes qui me mettent mal à l'aise, je reste souvent silencieux.

Avec toute cette pression – celle que l'on se met soi-même et celle que les autres exercent sur nous, la quête du bonheur n'est pas un chemin tranquille. Il y a des moments où cela m'angoisse: le temps passe et je ne suis pas plus heureux avec les années. Ce qui est nouveau, c'est que je m'autorise dorénavant à ne pas réussir. Mais je veux m'efforcer de regarder la vie en face, pour citer Virginia Woolf, toujours regarder la vie en face. C'est peut-être ça, mon plan B.

4 commentaires:

  1. Je me reconnais un peu dans ce que t'écris là, si on me demande de faire un vœux, c'était systématiquement celui là: "être heureux". La quête du bonheur est difficile quand on est un éternel insatisfait (comme je le suis) ainsi le bonheur est toujours éphémère, mais en voyant le bonheur autour de soi on se dit qu'un jour ça viendra aussi :)

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  2. @anthonygay: Je te le souhaite! Dernièrement, quand je voyais le bonheur autour de moi, je m'y sentais de plus en plus étranger. Mais bon je ne désespère pas, la vie réserve plein de surprises (même aux insastisfaits chroniques ;) ).

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  3. Je rattrape mon retard de lecture des blogs, et je dois dire que je me reconnais bien aussi... Comme tu l'écris, le fait de vouloir être heureux à tout prix n'est pas très compatible avec le bonheur à cause de la pression que ça met. Soyons à l'écoute de nos envies et essyons de les satisfaire, en tenant compte qu'elles changent forcément au fil du temps, et voyons si ça nous rend heureux...

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  4. @Loup: Les envies sont des choses précieuses, je ne suis pas sûr d'en avoir énormément ni de bien les reconnaître quand elles se présentent. J'aime assez les philosophies de vie du type "essayons comme ça et voyons ce que ça donne".

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