18 août 2011

Un soir, une rencontre [courte fiction]

Il frappa à la porte le vendredi soir vers 20h. Un toc unique et mal assuré. J'avais découvert à l'interphone, quelques instants auparavant, la voix de "Titours" – c'était le pseudo qu'il utilisait sur internet et par lequel il s'annonça ce soir-là. La voix de ce jeune homme était à l'image de sa manière de frapper: timide et hésitante.

Emporté par l'élan qui m'avait fait quitter le siège de mon bureau, j'ouvris la porte de manière assez brusque. L'onde provoquée par l'ouverture de la porte submergea Titours. Il eut un léger mouvement de recul et ses yeux s'écarquillèrent comme pour accompagner le déferlement de mon corps. Une fois mes yeux réglés sur l'obscurité du couloir, je découvris un garçon de petite taille, robuste et de visage assez rond. Je ne saurais dire si ses cheveux étaient coupés courts ou inexistants; peut-être portait-il une casquette.

Sa surprise première s'effaça au profit d'un sourire qui exprimait à la fois timidité, malice et gentillesse. Celle-ci m'apparut si profonde, si constitutive de son être qu'elle me désarma sur-le-champ.

Paré d'un sourire qui me vint très naturellement, je fis entrer Titours dans l'appartement et le priai de s’asseoir sur le canapé clic-clac du salon. J'éprouvai une honte soudaine à installer un quasi-inconnu sur une housse aussi sale.

- Tu as quelque chose à fumer? me demanda Titours.

- Si on exclut les feuilles mortes qui traînent sur le balcon depuis l'hiver dernier – et qui ne doivent pas avoir bon goût, la réponse est plutôt non. Je peux me rattraper en te proposant quelque chose à boire?

- Tu as du whisky?

- Ah, hum, non... J'ai du porto, du martini, de la bière, du vin rouge, du vin blanc, du cidre et du soft.

- Je veux bien une bière, merci, c'est cool, me répondit-il avec son irrésistible sourire.

Nous discutâmes pendant près d'une heure lorsque Titours m'annonça qu'il devait retrouver des amis pour une soirée en centre-ville. Feignant par pudeur d'ignorer que je ne lui plaisais pas, j'acquiesçai et le raccompagnai à la porte.

- Je peux te prendre dans mes bras? demandai-je à Titours de but en blanc.

Il s'agissait davantage de le prévenir que de lui demander l'autorisation car c'est sans attendre sa réponse que je l'enserrai dans mes bras. J'avais manqué d'affection les jours précédents et puisque l'occasion d'en recevoir était en train de s'échapper, je décidai derechef de voler ma ration.

Je profitai pleinement de mon étreinte avec Titours. La crispation de son corps me fit comprendre que le plaisir était sans retour. Peut-être a-t-il, en cet instant, douté de ma santé mentale.

Grisé par mon audace, je lui posai une ultime question:

- Je sais que c'est indiscret mais quel est ton vrai prénom, Titours?

- Benjamin. C'est Benjamin. Allez, merci pour le verre, passe une bonne soirée et à une prochaine peut-être.

Titours avait à peine prononcé ces mots qu'un de mes voisins, qui venait de quitter son appartement avec une jeune femme à son bras, l'interrompit dans sa fuite en s'exclamant:

- Ça alors, Sébastien! Qu'est-ce que tu fais là? Décidément, c'est pas assez de se voir huit heures par jour au travail qu'il faut jouer les prolongations les soirs et week-ends.

- Oui, je rends visite à un pote, répondit Titours non sans une certaine gêne.

- Ah mais faudrait qu'on se fasse un apéro un de ces quatre avec ton pote mon voisin! s'exclama avec un enthousiasme fédérateur celui que Titours et moi croisions presque quotidiennement...

11 commentaires:

  1. Il est dur ce billet... Recevoir quelqu'un a qui on ne plait pas, être en manque cruel de tendresse, ressentir que l'autre n'y est pas du tout réceptif et une séparation qui se clôt sur un mensonge. Parfois j'ai été à la place de Titours, à la différence que je ne mens pas sur mon prénom lorsqu'on me le demande.

    RépondreSupprimer
  2. Cruel mais joli récit. Manque d'affection qui touche tant de gens... Il faudrait pouvoir faire régulièrement le plein, comme tu as tenté de le faire.

    RépondreSupprimer
  3. Eh bien même si c'est dur ça fait un peu plaisir de lire ce billet ...Bonne chance pour d'autres rencontres ...

    RépondreSupprimer
  4. @TM: Ce sont en effet les ingrédients que je voulais mettre dans cette courte autofiction. Je trouve qu'apprendre le vrai prénom de quelqu'un qui utilise un pseudonyme crée un moment d'intimité incroyable.

    @Laurent: Ne pas pouvoir serrer quelqu'un dans ses bras quand on est timide et en manque d'affection est bien triste (je sais de quoi je parle ;) ). J'aimerais, si j'y arrive, écrire plusieurs variations autour de ce thème d'une rencontre d'un soir.
    Merci de ton passage et de ton commentaire!

    @Enn': Même si elle s'inspire de nombreux éléments réels, cette rencontre n'a pas eu lieu. J'espère que cela ne gâche pas le plaisir de lecture. Sois la bienvenue sur ce blog et merci pour ton commentaire!

    RépondreSupprimer
  5. C'est une histoire singulière je trouve. Dans la réalité, se peut il qu'on se prenne dans les bras sans en avoir envie, qu'on se mente sans aucun intérêt, qu'on découvre un mensonge aussi vite ? Sans doute que cela peut arriver. En tout cas j'y ai cru en te lisant alors chapeau

    RépondreSupprimer
  6. @Ek91: Mon intention n'était pas de faire passer pour réel ce qui ne l'est pas (je rougis à cette idée...) mais de parler du manque d'affection et des moyens qu'on peut utiliser pour en trouver – parfois sans succès. Je n'aurais probablement pas osé prendre quelqu'un dans mes bras comme ça, même si j'en avais eu envie.
    De mon point de vue, le mensonge sur le prénom n'est pas sans intérêt car il correspond à un refus d'établir une vraie relation.

    RépondreSupprimer
  7. On se plaît sur le net, puis lors de la vraie rencontre physique, on se rend compte qu'on s'est trompé finalement, que les affinités sont moindres et que les différences sont grandes... et c'est parfois une claque, c'est le prix à payer pour le passage du virtuel au réel, mais parfois ces rencontres sont positives et fructueuses, preuve en est qu'il ne faut pas rester sur un échec et garder confiance. mais rien ne vaut une rencontre dans la vraie vie, mais c'est pas facile non plus...
    Un célibataire qui a abandonné les rencontres via le net

    RépondreSupprimer
  8. @anthonygay: Un prix à payer pour le passage du virtuel au réel: je te rejoins complètement là-dessus.
    Et le net n'est pas trop un endroit pour ceux qui souhaitent trouver un peu de réconfort ou d'affection.

    RépondreSupprimer
  9. ah ah, pauvre titours quand même... c'est authentique ?
    jolie plume en tout cas, jolie façon de raconter...

    RépondreSupprimer
  10. Vu le dernier commentaire, tu devrais ajouter quelque chose (un titre, une phrase, un tag, ...) qui précise plus ou moins directement que c'est une fiction, non ? Sans indice, on croit forcément que c'est ce qui s'est passé, car pourquoi mentirais-tu ?

    RépondreSupprimer
  11. @Phil Siné: Ce n'est pas authentique, mais fortement inspirée d'éléments réels. Merci de ta venue sur le blog et à bientôt sur le tien (car je suis aussi cinéphile)!

    @Loup: Suggestion retenue, pour ce billet (cf. nouveau titre) et les suivants.

    RépondreSupprimer