C'est un livre qui, une fois commencé,
ne se met pas facilement de côté. De la chair à lecture.
La langage est brut, le style direct,
les phrases courtes. Le narrateur, et sans doute à peu de choses
près Michel Houellebecq lui-même, livre sa vision froidement
analytique et presque totalement dénuée de compassion de la société
d'aujourd'hui.
Personnellement, c'est tout à fait ce
que j'attends d'un auteur contemporain: qu'il apporte un
éclairage (de préférence nouveau) sur notre époque. De ce point
de vue, les quelques romans que j'ai lus de M. H. ne m'ont pas déçu.
Dans la société actuelle vue par
Houellebecq, l'altruisme n'a pas de place. Le passage à l'âge
adulte est le début d'une série de désillusions. Le vieillissement
est une déchéance inexorable. Ceux qui ne sont pas beaux ou jeunes
ont une vie sexuelle misérable.
Même si je
simplifie sans doute un peu, le constat est très sombre. Et c'est
justement ce qui m'interpelle. La société actuelle est-elle
vraiment telle que Michel Houellebecq la décrit ?
Je ne pense pas
être un observateur suffisamment éclairé pour répondre à cette
question. Quoiqu'il en soit et pour clore ce billet, je recopie
ci-dessous trois passages qui ont particulièrement retenu mon
attention.
Extrait 1:
Décidément, me disais-je, dans nos
sociétés, le sexe représente bel et bien un second système de
différenciation, tout à fait indépendant de l'argent ; et il
se comporte comme un système de différenciation au moins aussi
impitoyable. Les effets de ces deux systèmes sont d'ailleurs
strictement équivalents. Tout comme le libéralisme économique sans
frein, et pour des raisons analogues, le libéralisme sexuel produit
des phénomènes de paupérisation
absolue. Certains font l'amour tous les jours ;
d'autres cinq ou six fois dans leur vie, ou jamais. Certains font
l'amour avec des dizaines de femmes ; d'autres avec aucune.
C'est ce qu'on appelle la « loi du marché ». […] le
libéralisme sexuel, c'est l'extension du domaine de la lutte, son
extension à tous les âges de la vie et à toutes les classes de la
société.
Extrait 2:
Gérard Leverrier était
administrateur à l'Assemblée nationale […].
La nouvelle de sa mort n'a
réellement surpris personne à l'Assemblée nationale ; il y
était surtout connu pour les difficultés qu'il éprouvait à
s'acheter un lit. Depuis quelques mois déjà il avait décidé cet
achat ; mais la concrétisation du projet s'avérait impossible.
L'anecdote était généralement rapportée avec un léger sourire
ironique ; pourtant, il n'y a pas de quoi rire ; l'achat
d'un lit, de nos jours, présente effectivement des difficultés
considérables, et il y a bien de quoi vous mener au suicide. D'abord
il faut prévoir la livraison, et donc en général prendre une
demi-journée de congé, avec tous les problèmes que ça pose.
Parfois les livreurs ne viennent pas, ou bien ils ne réussissent pas
à transporter le lit dans l'escalier, et on en est quitte pour
demander une demi-journée de congé supplémentaire. Ces difficultés
se reproduisent pour tous les meubles et les appareils ménagers, et
l'accumulation de tracas qui en résulte peut déjà suffire à
ébranler sérieusement un être sensible.
Extrait 3:
Le soir de la mort de Gérard
Leverrier, son père a téléphoné à son travail ; comme il
était absent de son bureau c'est Véronique qui a pris la
communication. Le message consistait simplement à rappeler son père,
de toute urgence ; elle a oublié de le transmettre. Gérard
Leverrier est donc rentré chez lui à six heures, sans avoir pris
connaissance du message, et s'est tiré une balle dans la tête.
Véronique m'a raconté ça, le soir du jour où ils ont appris sa
mort, à l'Assemblée nationale ; elle a ajouté que ça lui
« foutait un peu les boules » ; tels furent ses
propres termes. Je me suis imaginé qu'elle allait ressentir une
espèce de culpabilité, de remords ; pas du tout : le
lendemain, elle avait déjà oublié.
Effectivement ça m’a l’air sombre, lucide et sombre ce qui est presque un pléonasme.
RépondreSupprimer@PeP: Il faut dire que j'ai fait l'impasse sur les quelques passages "optimistes" du livre (il me semble qu'il y en a au moins un...).
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