10 oct. 2010

Extension du domaine de la lutte, de M. Houellebecq


C'est un livre qui, une fois commencé, ne se met pas facilement de côté. De la chair à lecture.

La langage est brut, le style direct, les phrases courtes. Le narrateur, et sans doute à peu de choses près Michel Houellebecq lui-même, livre sa vision froidement analytique et presque totalement dénuée de compassion de la société d'aujourd'hui.

Personnellement, c'est tout à fait ce que j'attends d'un auteur contemporain: qu'il apporte un éclairage (de préférence nouveau) sur notre époque. De ce point de vue, les quelques romans que j'ai lus de M. H. ne m'ont pas déçu.

Dans la société actuelle vue par Houellebecq, l'altruisme n'a pas de place. Le passage à l'âge adulte est le début d'une série de désillusions. Le vieillissement est une déchéance inexorable. Ceux qui ne sont pas beaux ou jeunes ont une vie sexuelle misérable.

Même si je simplifie sans doute un peu, le constat est très sombre. Et c'est justement ce qui m'interpelle. La société actuelle est-elle vraiment telle que Michel Houellebecq la décrit ?

Je ne pense pas être un observateur suffisamment éclairé pour répondre à cette question. Quoiqu'il en soit et pour clore ce billet, je recopie ci-dessous trois passages qui ont particulièrement retenu mon attention.

Extrait 1:
Décidément, me disais-je, dans nos sociétés, le sexe représente bel et bien un second système de différenciation, tout à fait indépendant de l'argent ; et il se comporte comme un système de différenciation au moins aussi impitoyable. Les effets de ces deux systèmes sont d'ailleurs strictement équivalents. Tout comme le libéralisme économique sans frein, et pour des raisons analogues, le libéralisme sexuel produit des phénomènes de paupérisation absolue. Certains font l'amour tous les jours ; d'autres cinq ou six fois dans leur vie, ou jamais. Certains font l'amour avec des dizaines de femmes ; d'autres avec aucune. C'est ce qu'on appelle la « loi du marché ». […] le libéralisme sexuel, c'est l'extension du domaine de la lutte, son extension à tous les âges de la vie et à toutes les classes de la société.

Extrait 2:
Gérard Leverrier était administrateur à l'Assemblée nationale […].
La nouvelle de sa mort n'a réellement surpris personne à l'Assemblée nationale ; il y était surtout connu pour les difficultés qu'il éprouvait à s'acheter un lit. Depuis quelques mois déjà il avait décidé cet achat ; mais la concrétisation du projet s'avérait impossible. L'anecdote était généralement rapportée avec un léger sourire ironique ; pourtant, il n'y a pas de quoi rire ; l'achat d'un lit, de nos jours, présente effectivement des difficultés considérables, et il y a bien de quoi vous mener au suicide. D'abord il faut prévoir la livraison, et donc en général prendre une demi-journée de congé, avec tous les problèmes que ça pose. Parfois les livreurs ne viennent pas, ou bien ils ne réussissent pas à transporter le lit dans l'escalier, et on en est quitte pour demander une demi-journée de congé supplémentaire. Ces difficultés se reproduisent pour tous les meubles et les appareils ménagers, et l'accumulation de tracas qui en résulte peut déjà suffire à ébranler sérieusement un être sensible.

Extrait 3:
Le soir de la mort de Gérard Leverrier, son père a téléphoné à son travail ; comme il était absent de son bureau c'est Véronique qui a pris la communication. Le message consistait simplement à rappeler son père, de toute urgence ; elle a oublié de le transmettre. Gérard Leverrier est donc rentré chez lui à six heures, sans avoir pris connaissance du message, et s'est tiré une balle dans la tête. Véronique m'a raconté ça, le soir du jour où ils ont appris sa mort, à l'Assemblée nationale ; elle a ajouté que ça lui « foutait un peu les boules » ; tels furent ses propres termes. Je me suis imaginé qu'elle allait ressentir une espèce de culpabilité, de remords ; pas du tout : le lendemain, elle avait déjà oublié.

2 commentaires:

  1. Effectivement ça m’a l’air sombre, lucide et sombre ce qui est presque un pléonasme.

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  2. @PeP: Il faut dire que j'ai fait l'impasse sur les quelques passages "optimistes" du livre (il me semble qu'il y en a au moins un...).

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