12 déc. 2010

Libre, de ne pas l'être

Il y a environ cinq ans, à l'occasion de l'achat d'un nouvel ordinateur en pièces, j'ai décidé de rompre avec Windows et Microsoft Office. J'étais en désaccord avec l'idée qu'un système d'exploitation et une suite bureautique payants puissent à ce point s'imposer aux utilisateurs d'ordinateurs. Après avoir reçu une aide précieuse, je suis passé sur Linux et j'ai fait mes premiers pas dans le monde des logiciels libres.

En quelques mois, en quelques années, j'ai détricoté bon nombre d'habitudes - pas si anciennes - pour apprivoiser une partie du bestiaire du libre alternatif. Au revoir Word, Excel, PowerPoint, Access, Outlook, Internet Explorer, Mapinfo, EndNote. Bonjour OpenOffice.org, PostgreSQL, Thunderbird, Firefox, R, Quantum GIS, GRASS, GIMP, Zotero.


Pourtant, sans même savoir si cela était souhaitable, je n'ai pas complètement tiré un trait sur Windows, Microsoft Office et autres logiciels payants. Mon poste professionnel fonctionne en dual boot; je choisis au démarrage Fenêtres ou Humanité-Lynx-Lucide. Par manque de compétence, je n'ai pas acquis une complète indépendance vis-à-vis de Windows. Certains tâches restent complexes pour moi sur Linux: configurer une imprimante réseau dont il faut préalablement trouver les pilotes, gérer certains formats propriétaires de fichiers, etc.

Si au départ j'étais assez rigide, considérant par exemple chaque démarrage sur Windows comme un aveu d'impuissance, je me suis depuis beaucoup assoupli. Ce qui est important désormais, c'est de savoir qu'une alternative existe, qu'elle est à portée de main, même si sa mise en oeuvre demande un peu de temps. En bref, de savoir que j'ai le choix.

Ayant créé les conditions de ma "libération" informatique, je peux décider de sortir de ma cage, ou d'y rester. Je suis libre de ne pas faire usage de ma liberté.

S'il est agréable de faire l'expérience de sa liberté d'agir et de choisir, il y a des circonstances où le ressenti est plus complexe. C'est là où je veux en venir.

Je fréquente E. depuis plusieurs années. Nous avons décidé d'un commun accord que notre relation serait libre, sans contrainte mutuelle concernant de possibles autres partenaires. Sur le principe, cela me convient bien: je n'aime pas l'idée d'appartenir à quelqu'un, pas plus que l'idée que quelqu'un m'appartienne. Et je veux rester libre d'être attiré par d'autres garçons, de faire des rencontres, etc.

Mais les choses ne sont pas aussi simples que je le croyais au départ. Ce que je dois dire en premier lieu, c'est que je n'ai pas fait usage de cette liberté jusqu'à présent. Les occasions ne se sont pas présentées, et je ne les ai pas créées.

Dimanche dernier, j'avais un rendez-vous en centre-ville pour aller prendre un verre avec un garçon rencontré sur internet peu de temps auparavant. Cette rencontre se voulait amicale. Dans mon esprit, cela veut dire discuter, voir si l'on se trouve des points communs et éventuellement des choses à faire ensemble. Toujours dans mon esprit, cela ne ferme pas la porte à des rapports plus intimes si affinités.

Dimanche, à mesure que l'heure du rendez-vous approchait, j'avais comme une boule à l'estomac. Un mélange de sentiments: appréhension, excitation, mais surtout culpabilité. Peu de temps après, je recevais un message annulant le rendez-vous, avec un motif plus ou moins sérieux. Mais peu importe, j'étais avant tout soulagé.

Mais voilà, il me reste une question sur les bras: pourquoi est-il si difficile pour moi de profiter de la liberté laissée dans une relation? Je n'ai pas la réponse, mais plusieurs pistes me viennent à l'esprit. Peut-être suis-je incapable d'envisager des rapports "intimes" sans y impliquer des sentiments qu'il est difficile d'éprouver pour plusieurs personnes. Peut-être suis-je mal à l'aise à l'idée de rencontrer quelqu'un avec l'arrière-pensée de passer à l'acte. Peut-être que devoir dire à quelqu'un que je n'ai pas envie d'aller plus loin avec lui m'est particulièrement désagréable - plus que l'inverse. Peut-être ai-je peur de trouver mieux que ce que j'ai déjà. Etc, etc.


Je continue à avoir envie de relations libres, et j'aime l'idée de pouvoir me donner sans contraintes.

Mais n'est-ce pas une véritable absence de liberté que d'aimer une idée sans réussir à être complètement en harmonie avec elle?

4 commentaires:

  1. Tes sentiments envers ton pc ne sont quand même pas aussi intimes que ceux qui sont avec un partenaire. (Malgré tout ce que tu dois confier à ta machine) … Et c’est facile de d’utiliser un logiciel par moments en cas de besoin …
    Je crois qu’on n’est pas libre de ses sentiments dans tous les cas de figure. Tu aimes l'idée de pouvoir te donner sans contraintes, mais tu as au moins celle de tes sentiments … Et je ne crois pas qu’on puisse envisager des rapports "intimes" sans y impliquer des sentiments. Enfin pas pour moi !
    À moins de te transformer toi-même en ordinateur et de perdre ce qui est humain en toi … Bon je suis assez vieux jeu, je sais !

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  2. @PeP: Je ne faisais pas de comparaison directe entre mes relations avec les autres et mon rapport aux ordinateurs. C'était plutôt l'occasion de montrer comment l'envie d'être libre - tout en s'appuyant sur une mauvaise conception de la liberté - agissait sur mon comportement et créait des conflits intérieurs.
    J'adhère entièrement à ton second paragraphe.

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  3. J'ai trouvé ton article passionnant :
    D'une part il rejoint mes velléités par rapport à l'univers sous unix dit libre. A ceci près que tu as un large temps d'avance puisque tu pratiques, ce qui n'est pas encore mon cas. C'est intéressant de savoir que l'on peut mixer Windows et linux. après tout j'ai commencé openoffice ou firefox de cette manière.
    D'autre part le glissement vers la notion de liberté sentimentale est instructif. Je partage pourtant ton point de vue: c'est une mauvaise conception de la liberté. J'ai fait un billet sur le(s) couple(s) récemment, je crois que le seul bon guide est le sentiment intérieur.

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  4. @Flavien: Merci de ta venue et de ton commentaire; j'irai lire avec intérêt ton billet sur les couples. Considérer un sentiment comme un bon guide n'est pas quelque chose de très habituel pour moi qui suis toujours à la recherche d'explications (sans les trouver la plupart du temps). Je crois que ton point de vue est plein de sagesse.

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