4 janv. 2011

L'Ennui

Dans ce roman publié en 1960, Alberto Moravia revient à l'un des thèmes centraux de son oeuvre: la crise des rapports de l'homme et de la réalité.

C'est cette phrase extraite de la quatrième de couverture qui m'a donné envie de lire "L'Ennui".

Vous est-il déjà arrivé de vous sentir complètement déconnecté du monde - êtres et objets - qui vous entoure ? Moi oui, à certaines périodes. C'est cette incommunicabilité et l'impossibilité d'en sortir tout en ayant la conscience théorique que l'on pourrait peut-être s'en évader qui définissent l'ennui selon Moravia.

Je n'aurais pas spontanément fait le rapprochement entre cet état et l'ennui, mais je ne trouve pas illégitime de donner un sens nouveau à certains mots, au moins le temps d'un roman. Une fois défini et nommé ce manque de rapports avec les choses, et dès lors qu'on nous plonge dans la narration aux côtés d'un peintre italien qui s'ennuie, plusieurs questions se posent: peut-on vivre dans l'ennui, c'est-à-dire sans aucun rapport avec le réel et n'en pas souffrir? Sinon, comment rétablir des passerelles entre soi-même et la réalité?

Voilà des questions auxquelles j'étais impatient de trouver des éléments de réponse dans le roman que je n'ai pas lu (autant le dire tout de suite) avec le détachement du lecteur curieux et désintéressé, mais avec la légère anxiété du patient occasionnel qui espère qu'on lui proposera une médication.

Finalement, le livre m'a surtout intéressé parce qu'il a un peu répondu à une autre question qui m'intéressait tout autant: qu'est-ce qui fait que l'on sort finalement d'une crise?

Pour résumer l'histoire, disons que Dino, le narrateur, rencontre Cecilia, une jeune modèle plutôt belle qui semble indifférente à tout. Dino et Cecilia ont bientôt des rapports amoureux quotidiens. En la présence de Cecilia, Dino s'ennuie. Las de cet ennui, le peintre italien projette de quitter la modèle mais il se rend alors compte qu'il ne la possède pas, qu'il ne l'a jamais possédée, et que son absence le fait souffrir. Beaucoup souffrir, et de plus en plus.

Comment se sortir de cette spirale de souffrance?

Dino, plus ou moins consciemment, finit par précipiter sa voiture contre un arbre. L'accident ne le tue pas. Il se réveille à l'hôpital.

Ce que, faute de terme plus approprié, je devais appeler mon suicide n'avait rien résolu, mais l'avoir tout au moins tenté me faisait penser que j'avais fait tout ce qui était en mon pouvoir: je n'aurais pu faire davantage. [...] désormais, bien que sans espoir, il ne me restait plus qu'à vivre.

Dino se découvre alors libéré de son obsession de posséder Cécilia. [...] Je ne désirais plus la posséder, mais seulement la regarder vivre, telle qu'elle était [...]. Ainsi le seul résultat vraiment certain était que j'avais appris à aimer Cecilia, ou plutôt à l'aimer sans plus.

Que s'est-il passé intérieurement chez Dino? Moravia en dit à la fois peu et beaucoup:

Evidemment, quelque chose était advenu au moment où je m'étais précipité, en voiture, hors de la route, quelque chose que, faute d'explication meilleure, on pouvait définir comme l'écroulement d'une ambition insoutenable.

Si je ne dois retenir que quelques mots de "l'Ennui", ils sont là: l'écroulement d'une ambition insoutenable.

N'est-ce pas en renonçant définitivement à des envies impossibles que l'on sort d'une crise?

2 commentaires:

  1. Il me semble que plutôt que de renoncer à une ambition impossible, il est plus salutaire de la surmonter (de trouver le moyen de s'en échapper).

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  2. @Ek91: J'ai longtemps réfléchi à ton commentaire.
    Je pense que le renoncement peut aussi être salutaire: il combine des notions de lucidité, de deuil et d'acceptation.

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